La taxe de séjour d'Anzère:
un exemple d'anomie institutionnelle avec un parfum de populisme
Depuis trois ans, l'association Anzère R2, née de l'initiative spontanée d'un groupe de seconds résidents établis depuis plusieurs années dans les communes d'Ayent et d'Arbaz, s'est efforcée de nouer dialogue démocratique avec les autorités locales et de freiner les tentations taxatoires de celles-ci.
Les résultats de cette action désintéressée sont décevants. Le dialogue a été refusé et les taxes ont augmenté sans justifications objectives, ni amélioration de l'offre.
Pourquoi, ce qui paraissait un combat juste et modéré pour un "vivre ensemble" de qualité sur l'Adret et au service de l’intérêt général, n'a-t-il pas convaincu ?
La question mérite d'être posée car ce "circulez, il n'y a rien à voir" opposé aux seconds résidents peut légitimement nous interpeller sur le fonctionnement des communes de montagne valaisannes et plus généralement sur le système politique en place qui ont fait les yeux doux aux seconds résidents et montré, comme le loup de la Fable, une patte enfarinée aux gentils petits cochons pour mieux les croquer.
Le second résident, affublé du titre de "Meilleur ambassadeur d'Anzère", est en fait une "vache à lait". Cette expression qui date du milieu du XVIe siècle, se rapporte bien évidemment à l’image de la vache laitière dont les hommes tirent inlassablement profit en la trayant sans jamais que l’animal ne se rebiffe. Selon la sagesse populaire, une personne assimilée à "une vache à lait" se laissera exploiter financièrement, souvent même sans s’en rendre compte. C’est ce que l’on appelle familièrement « un brave type » !
Ce qui est reproché à l'association Anzère R2, c’est de se rebiffer.
Invité à investir en Valais pour soutenir le marché immobilier, la richesse foncière des "indigènes", le secteur de la construction et par ruissellement l'économie régionale, le second résident, est cependant bien mal traité.
On se souviendra qu’il est prié de ne pas contaminer le valaisan craintif et de ne pas venir profiter de son bien lors des épidémies comme celle de la Covid, sans qu'on lui rembourse les taxes qu'il paye. Bien mieux, il est invité à partager son chalet ou son appartement s’il faut accueillir les Ukrainiens ou reloger les habitants de Blatten, le valaisan dont l'hospitalité est légendaire n'hésitant pas par voie de circulaire toutes-boîtes à solliciter le sens du devoir des seconds résidents. Après tout, il doit bien payer pour l'air qu'il respire. Tous les procédés sont bons pour « réchauffer les lits » ce qui semble être une vraie obsession en Valais, s’agissant du lit des autres.
L’impôt est un « vol légal » et la taxe de séjour forfaitaire est probablement un des systèmes les plus perfectionnés. En tout premier lieu, elle frappe des contribuables qui ne votent pas, des « sans-voix ». Ensuite, elle est présentée comme une redevance, c’est-à-dire la contrepartie d’un service qui leur est offert, même s’ils n’ont rien demandé ; c’est ce que l’on appelle un impôt de répartition dont l’affectation est en théorie définie. Elle est forfaitaire pour en simplifier la perception, et doit donc être objective ou prétendue telle, pour apparaitre juste, ce qui concerne la définition de capacité d’hébergement dans des zones géographiques données. Elle est dosée ou calibrée pour ne pas franchir le seuil de pénibilité qui entrainerait la rébellion ou la jacquerie. Bref, c’est une vraie science que de taxer le « Meilleur ambassadeur d’Anzère », en ménageant sa souffrance !
L’association Anzère R2 a analysé le dispositif mis en place dans les communes d’Ayent et d’Arbaz, mis en évidence divers dysfonctionnements et formulé plusieurs propositions d’amélioration. Elle s’est heurtée à un blocage et à une mise à l’écart systématique qui a culminé avec une plainte en diffamation introduite par un quarteron de décideurs locaux à l’encontre du Président de l’association. Faire taire à coup de triques, serait-ce le modus operandi de la démocratie locale pour empêcher la vache à lait de se rebiffer ?
Ce système de collusion d’intérêts se pare des habits du bon droit, de la justice fiscale et de la démocratie participative. Il n’en n’est rien. L’expérience de notre association démontre qu’il y a un système bien rodé de collecte et de redistribution d’une recette fiscale prélevée sur un groupe ciblé pour financer un tourisme de consommation, sous couvert d’une apparente légalité.
C’est un exemple de ce qu’en sciences sociales, on appelle une « anomie institutionnelle », c’est-à-dire une dégradation des normes sociales, une situation où les institutions ne servent plus les valeurs – le développement harmonieux d’une région de montagne pour « un futur qui nous rassemble », pour reprendre les derniers slogans d’enfumage de l’ATSA et de ses consultants en stratégie- qu’elles prétendent servir, mais des intérêts particuliers. Les activités considérées à l’origine comme un moyen n'ont plus d’autre but qu’elles-mêmes : le but vers lequel elles tendaient à l’origine est oublié et le respect des conduites prescrites est devenu simplement rituel.
Le problème est celui d’une station de montagne, modeste, accueillante aux familles et à une classe moyenne bourgeoise de bon aloi mais peu exigeantes, qui comme la grenouille de la Fable a voulu se prendre pour un bœuf, et rêve de jouer dans la cour des grands, hélas sans en avoir les moyens. C’est un bon sujet pour les doctorants en tourisme, ordinairement sollicités pour justifier les politiques publiques en place.
Après nous avoir vendu le premier règlement-taxe comme un moyen d’offrir aux seconds résidents et à leurs « hôtes » des expériences inoubliables grâce à un « Pass Anzère liberté », il a fallu rapidement déchanter et faire face à une structure coûteuse et peu performante, l’ATSA, et augmenter les taxes avec un nouveau règlement pour, sans rire, « maintenir le niveau des prestations ». L’ATSA fonctionne en fait comme bureau marketing de Télé Anzère, entreprise semi-publique portée à bout de bras par les communes et sauvée – temporairement – par le Magic Pass et le tourisme de consommation.
Concrètement, cette anomie institutionnelle s’est manifestée de plusieurs façon :
- La procédure de consultation prévue par la loi en préalable à l’adoption du nouveau règlement a été une parfaite farce, au vu et au su de tout le monde, y compris des autorités de tutelle. On se souviendra que la Commune d’Ayent avait déjà adopté le nouveau règlement avant la fin de la procédure de consultation et a dû reprendre sa délibération. A Arbaz, cela é été encore plus vite expédié, sans que l’on organise, comme notre Association l’avait demandé, un débat démocratique sur les observations recueillies lors de cette consultation ;
- Notre association a été privée de parole, boycottée par « L’Agache », censé être le relais impartial de ce qui se passe sur l’Adret; l’ASPA, la « Claque » de ceux qui contrôlent les décisions, a cherché à nous faire exclure de l’Association faitière suisse des seconds résidents ; malgré nos propositions étoffées, nous avons été écartés du groupe d’étude des projets mis en place par l’ATSA ; plus récemment, bien que nous ayons déposé un mémorandum étoffé, nous avons été écartés de la « consultation stratégique » d’enfumage Anzere 2040 « pour l'amélioration des infrastructures à la stratégie touristique, en passant par la création des nouveaux lits chauds, projets reflétant notre engagement à créer un environnement transparent, prospère, inclusif et attrayant pour nos résidents (secondaires) et visiteurs ». etc… ;
- Après avoir procédé à une analyse pluriannuelle des comptes de l’ATSA mis en évidence le caractère coûteux de cette organisation de redistribution de subsides, des affectations discutables, des écritures comptables surprenantes, notre association agissant comme lanceur d’alerte a saisi l’Inspection cantonale des Finances; Hélas, aucune transparence : nous n’avons pas été entendus et le rapport de cette autorité dont la mission est de « lutter contre les irrégularités et dysfonctionnements au sein des entités publiques du canton du Valais », n’est pas sorti de l’entre-soi valaisan ; « circulez, il n’y a rien à voir » ;
- Notre association s’est activement impliquée dans le processus d’élaboration du nouveau règlement, notamment au niveau des services compétents du Canton, a fait part de ses objections et de ses souhaits pour une fiscalité équitable et nous avons subi l’ exemple parfait du déni de justice ; nous n’avons eu aucun écho, si ce ne sont des fins de non-recevoir courtelinesques ; notamment nous avions explicitement signalé à l’administration cantonale qu’ à défaut d’être entendu, nos demandes valaient recours contre ce règlement ; celui-ci a finalement été adopté et publié en catimini ; lassés d’attendre, nous avons réitéré notre recours en annulation du règlement qui a été rejeté, sans autre, par le Tribunal administratif cantonal pour introduction tardive et pour ne pas avoir frappé à la bonne porte, alors que nous pensions que l’Etat du Valais était une seule personne morale coordonnant l’action de ses services ;
- La boucle a été bouclée avec les recours individuels, introduits par quelques valeureuses et irréductibles « vaches à lait » d’ Ayent et d’Arbaz. Ces recours ont été rejetés par l’autorité de tutelle, sans surprise puisque, juge et partie à la fois, elle avait approuvé ce nouveau règlement. Elle a esquivé la question des conditions de légalité de la taxe de séjour forfaitaire. Un système de taxation forfaitaire qui vise un groupe ciblé ne peut en effet être admissible que s’il est objectif ( mode de calcul) et justifié ( affectation du produit de la taxe) ; c’est ce que déclare la loi sur le Tourisme et ce que répète inlassablement le tribunal fédéral. En refusant de se livrer à un véritable contrôle de l’objectivité, l’ Etat du Valais a clairement mis en évidence le péché originel de ce système. Cette objectivité prétendue n’est qu’un leurre ; censée encadrer l’action des autorités locales pour éviter l’abus d’un pouvoir discrétionnaire ; ce n’est qu’un cache-sexe. Ainsi à Anzère (1) pour justifier le nombre magiques de 50 nuitées des seconds résidents des deux communes, sans distinction entre la station et la périphérie, l’administration produit sans honte des données ramassées à la va -vite et partielles pour ne pas dire anecdotiques de loueurs de biens, évidemment désintéressés, et des « statistiques » à l’échelle du canton, dont un étudiant de première année n’aurait aucune peine à dire qu’elles ne sont représentatives que de rien, et ( 2) pour justifier le taux de la taxe ( 5,50 CHF par UPM et par nuitée) et sa hausse spectaculaire, elles se borne à déballer un catalogue de prestations fourre-tout genre « Camping Paradis », mais en moins bien ( la dernière trouvaille étant « la plage à la montagne, avec sable et transats » !), et incluant sans vergogne dans ce catalogue de nombreuses activités villageoises qui ne sont pas prises en charge par l’ATSA.
Le débat sur
cette question ne manquera pas de revenir. Il a été évacué en donnant
l’apparence d’une bonne administration des choses -déclarée objective- pour masquer l’indigence du gouvernement des
hommes, ce qui est malheureusement à certains égards la tentation actuelle dans
nos démocraties, et en maintenant le
seuil de pénibilité de l’impôt à un coût inférieur aux procédures imposées aux
seconds résidents pour se faire entendre et rendre justice, de façon à les
décourager de se rebiffer.
Autre sujet pour les doctorants en tourisme qui ausculte Anzère : ce n’est pas une étude stratégique tous les 5 ans et une « politique de marque », soutenue par une communication coûteuses pour alimenter la machine du tourisme de consommation qui transformera Anzère en « station familiale 4 saisons, durable, pour un avenir qui nous rassemble » et qui la fera remonter de la dernière place qu’elle occupe dans l’étude annuelle d’UBS sur l’attractivité de stations de montagne.
Les intérêts sont trop bien enracinés et la science économique ( l’Ecole des choix publics) nous a appris que les hommes politiques sont des acteurs économiques comme les autres, dans le sens où ils agissent aussi par intérêt, et n’ont aucune incitation à remettre en cause un mécanisme de subventionnement dont ils bénéficient, pas personnellement bien sûr, mais parce qu’il étend leur sphère d’intervention et d’influence.
L’incohérence temporelle de la politique suivie, c’est à dire une situation dans laquelle des décisions prises à un moment donné par des décideurs qui ignorent à dessein la réalité, peuvent ne plus être optimales à un moment ultérieur en raison de changements dans l'environnement économique, ne manquera pas d’apparaitre face aux défis environnementaux, aux coûts de détention d’un patrimoine foncier en Valais, à la cherté de la Suisse , à la concurrence des offres, aux attentes d’une clientèle de plus en plus exigeante…. de tout cela, pas un mot du dernier « expert » commandité pour décrypter l’avenir à 15 ans de la station d’Anzère.
C’est pourquoi notre Association, même privée d’une voix au chapitre, restera vigilante et continuera d’être un lanceur d’alerte !
Pour Anzère R2,
Albert Ulrich et Paul Delahaut
Exzellent article
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